2007 : l’année où la France va changer

Après le rejet exprimé lors du référendum, l’avenir du pays se décidera lors de la prochaine élection présidentielle. Et cela se jouera entre Nicolas Sarkozy et Jean-Marie Le Pen, prédit un universitaire espagnol, Professeur de droit international public et de droit communautaire européen. ABC Espagne.

La société française et l’ensemble des pays européens sentent bien que le 29 mai a donné le signal d’un changement décisif, qu’il a montré l’urgence d’un changement d’époque, d’idées et de personnes, ainsi que la nécessité de mettre fin à l’illusion jacobine, ce modèle reposant sur les ambitions d’un Etat et d’une bureaucratie qui, historiquement, ont voulu incarner un projet universaliste et investir la France d’une mission spéciale dans le monde.
Les résultats du référendum montrent qu’une partie non négligeable de la société française voudrait maintenir cette exception, comme si les pendules de l’Histoire s’étaient arrêtées dans les années 1970 et qu’il fût possible, dans un contexte économique radicalement différent, de maintenir le corporatisme, les privilèges des fonctionnaires ou une souveraineté quasi colbertiste.

Paradoxalement, et malgré le triomphe du non – un non porté par une étrange coalition de souverainistes de droite, d’altermondialistes et de socialistes –, tout paraît converger vers ce moment crucial que sera la présidentielle de 2007. Là, il n’y aura plus d’échappatoire possible. Les Français seront très vraisemblablement appelés à choisir entre le candidat d’un centre droit qui mise sur la modernisation et l’ouverture économique et sociale – Nicolas Sarkozy –, l’homme de la nostalgie et du repli sur les frontières nationales – Le Pen ou de Villiers –, ou le représentant d’une très possible réédition d’un front commun entre un vaste secteur du PS, les communistes et les forces antisystème. De sorte que si, sur le plan extérieur, le grand perdant est le projet politique européen – et son ambition de dépasser la tentation des nationalismes –, sur le plan intérieur, les grands perdants sont de toute évidence Jacques Chirac et le Parti socialiste. C’est la scission des socialistes français qui a décidé du résultat du référendum. Or le non de gauche n’est pour l’instant qu’un slogan contre l’Europe libérale et le capitalisme : il ne s’accompagne d’aucune proposition. Le principal bénéficiaire de l’europhobie est Le Pen. Pendant la campagne, les dirigeants politiques et l’électorat semblent avoir oublié le traumatisme du 21 avril 2002. Comme cela s’était déjà produit il y a trois ans, les arguments de l’extrême droite ont fini par contaminer le camp du non, et cette tendance pourrait se poursuivre dans la perspective de 2007. On est là au cœur du problème.

Depuis Maastricht, c’est l’Europe contre la nostalgie

Comme il l’a fait à de nombreuses reprises au cours de sa longue carrière politique, Chirac a cherché à obtenir des avantages immédiats en appelant à un référendum qu’il escomptait gagner : diviser la gauche, marginaliser Le Pen, se renforcer en prévision de la présidentielle. Comme cela a souvent été le cas, les calculs électoraux du président n’ont pas été couronnés de succès.

Le bilan des années Chirac n’est guère reluisant. Le chômage a augmenté, la croissance stagne, l’exclusion ne cesse de croître, la fracture sociale entre cadres supérieurs d’une part et ouvriers et employés d’autre part s’est aggravée, le déficit commercial et celui de la balance des paiements se sont creusés. Et tout cela va de pair avec la crainte de plus en plus partagée de perdre son emploi, la peur de l’immigration, des effets de l’élargissement à l’Est, des délocalisations, et l’inquiétude face à ce qui est perçu comme une perte d’influence de la France en Europe comme sur la scène internationale. Les réformes économiques et sociales pompeusement annoncées et tant de fois différées en ont fait les frais, au même titre que l’ambitieux programme de décentralisation du fidèle Raffarin.

La France économique continue aujourd’hui à vivre des grands programmes publics des années 1970 (Ariane, Airbus, les télécommunications, le TGV…), au détriment de l’innovation et de l’esprit d’entreprise, sans investir dans les activités qui seront décisives en termes de compétitivité à l’horizon 2010-2020.

Il est vrai que, depuis un certain temps, la France donne l’impression de ne plus savoir où elle va, et même les analystes les plus proches du président s’accordent à dire qu’il faut de toute urgence renouveler la très gérontocratique classe politique française. Bon nombre de pays européens semblent connaître les mêmes problèmes. Mais ce qui arrive en France, c’est que la crise d’identité est plus profonde – en raison de la forte identification des élites politiques avec l’Etat – et que l’une des sociétés les plus instruites et les plus politisées du continent a fait de l’avenir de l’Europe son nouveau référent politique. Depuis le traité de Maastricht [en 1992], les batailles politiques en France se jouent entre d’une part les partisans de la modernisation et des réformes par le biais de l’Europe, et, d’autre part, les défenseurs des slogans politiques et de la nostalgie.

Seuls Sarkozy et Le Pen ont un parti uni derrière eux

Le référendum a mis en évidence de quoi est faite la politique française actuelle et montré vers quoi elle pourrait se diriger. On a du mal à imaginer qu’Henri Emmanuelli, Laurent Fabius ou Dominique Strauss-Kahn, pour ne pas citer l’inoxydable Chevènement, avec leur longue carrière émaillée d’innombrables revirements tactico-idéologiques, puissent être à l’avenir les leaders du Parti socialiste, ou de ce qu’il en restera. Son actuel numéro un, François Hollande, sort assez affaibli des divisions de son parti. Les hommes et les femmes les plus proches du président, comme Michèle Alliot-Marie ou Philippe Douste-Blazy, n’auront sans doute pas non plus la partie facile au sein de l’UMP. Seuls Le Pen et Sarkozy peuvent compter sur un appareil de parti uni et résolu à mener son candidat à la présidentielle.

Dans ce contexte, que signifie la nomination de Dominique de Villepin au poste de Premier ministre ? En choisissant Villepin, Chirac récompense une fois de plus la loyauté personnelle et confirme sa prédilection pour les mécanismes de sélection traditionnels des élites françaises – c’est-à-dire ce que beaucoup de citoyens français semblent rejeter ouvertement. Conseiller très proche de Chirac, sur lequel il a exercé une influence considérable, notamment sur les questions de politique étrangère, Villepin, comme le président lui-même, a défendu le oui avec des arguments très proches de ceux des partisans du non : l’“Europe sociale” comme meilleur rempart contre les dangers de la mondialisation et la menace redoutée de l’influence anglo-saxonne. Si l’on ajoute à cela les velléités du brillant Villepin en faveur d’un très étrange axe Paris-Berlin-Moscou, on ne peut qu’en conclure que le président français a misé fondamentalement sur sa propre continuité.